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une toute petite minorité que ceux qui vivent indépendants ; nos actes les plus probes doivent forcément paraître des folies ou des crimes aux yeux de ceux qui n’y étaient pas destinés.

L’ABBÉ.

Cette minorité-là veut l’impossible et restera sans influence !… Heureusement !… Vous ne m’entraînerez pas d’ailleurs, Monsieur, sur le terrain de la vaine et facile éloquence. Je me le suis promis… Je n’ai cherché qu’à être simple.

ARMAURY.

Mais non, Monsieur l’abbé, n’ayons pas honte de nous-mêmes ; nous ne faisons pas ici de l’éloquence de chaire, ni de prétoire. Nous le pourrions, en effet, car nous sommes de vieux adversaires ; nous nous sommes rencontrés depuis les premiers âges du monde. J’étais la libre pensée, vous étiez la foi… mais ici nous abdiquons. (Très simplement.) Nous ne sommes plus que les missionnaires des âmes que nous avons à défendre.

L’ABBÉ, (reprenant son chapeau après un instant de réflexion.)

Eh bien, là où j’ai échoué, d’autres réussiront peut-être… C’est exact : je n’ai supplié et je n’ai parlé qu’au nom des intérêts de ceux que j’aime.

ARMAURY.

Quelle belle parole vous venez de dire là !… Il n’y en a pas de plus belle !… Les intérêts de ceux qu’on aime… Hélas !… (Il pousse un très lourd soupir, puis considère l’abbé ; et, avec un certain frémissement de la voix.) Séparons-nous, Monsieur l’abbé ; cette flamme qui m’agite, cet amour qui me commande, vous ne le connaissez pas, vous ne le connaîtrez jamais. N’essayez pas de juger une