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subir, comme je le veux, les rigueurs de ma conscience. Périsse cette enfant plutôt que le principe ! Non, non, croyez-en ma compétence, je me suis penché sur les codes… La société n’a pas trouvé la solution de l’amour.

L’ABBÉ.

Non, c’est la religion…

ARMAURY.

Pas plus la religion, car elle a mis le péché à la base de l’amour, et c’est là une faute impardonnable et dont les conséquences ont été incalculables. C’est à cause d’elle que nous ne nous comprenons pas en ce moment, ni l’un ni l’autre, et que vous me faites une lâcheté de ce que j’appelle mon courage…

L’ABBÉ.

Courage facile, qui accumule des désastres et des ruines. C’est le courage du moindre effort…

ARMAURY.

Quelle erreur !… Je vais où je dois aller… du côté des plus grandes ruines, Monsieur l’abbé. Vous venez me parler ici d’autres ruines, celles, dites-vous, de cette famille éplorée… Eh bien, elles ne sont que des ruines d’amour-propre, des atteintes à des conventions respectables, mais qui n’atteignent aucun bonheur vivace. Ces gens-là seront très affectés, je vous l’accorde, mais ils ne perdront leur fille que s’ils le veulent bien… Ils n’éprouveront que des blessures mentales, et il ne tiendrait qu’à eux de les dominer… Cette douleur-là n’est rien, rien, en comparaison de celle qu’éprouverait cette pauvre enfant si je l’abandonnais. Je vous le dis, il faut que j’aille du côté des plus grandes ruines…