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dont ils acceptent les conséquences, au nom de ce même principe je ne me reconnais pas le droit de rendre à sa vie passée une enfant qui n’est plus en état de la vivre, ni de se résigner. J’ai maintenant la garde d’un cœur, d’un esprit que j’ai animés, et qui, j’en ai la conviction, ne peuvent plus se passer de moi. Ah ! si je n’avais pas cette conviction-là, ce serait tout autre chose, et je saurais renoncer à ma propre passion. Seulement, il s’agit ici d’un amour mutuel que vous pouvez trouver abominable, mais qui atteint, à mes yeux à moi, une grandeur immense… Oui, la pauvre petite, je la défendrai maintenant contre les vrais malheurs qui l’attendraient, si j’étais assez pleutre pour l’abandonner, contre la détresse, le spleen et la diminution d’elle-même. Je redouterais pour elle les pires possibilités, même la mort… oh ! vous voyez que je suis orgueilleux !… Je la défendrai contre tous, et je la rendrai heureuse, Monsieur l’abbé, je la rendrai gaie, je la rendrai saine… je veux la sauver, non la perdre !… Rien ne m’arrachera à cette sauvegarde, et comprenez-moi bien, Monsieur l’abbé, sur ma conscience même, je déclare qu’en agissant ainsi je fais acte d’honnête homme. À mon tour, je vous dis : c’est une question de devoir !… Vous, au nom d’une morale dans laquelle vous avez une foi absolue et qui vous aveugle, vous exigeriez une simple infamie… Car c’est en vous rendant cette enfant que je commettrais l’infamie !…

L’ABBÉ.

Nous sommes séparés, Monsieur, par tout un océan d’idées, de convictions !… Vous rendez-vous compte que ce que vous réclamez, en fait, c’est la polygamie pure ?… Je ne discute même