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conséquences ; mais, une fois que les images parviennent à notre cerveau, l’être tout entier se trouble et se rétracte. Je vous supplie, entendez-moi ; je vous supplie, il est temps encore… Aucun scandale n’a éclaté, vous pouvez rendre cette enfant à ses parents ; votre fuite en Angleterre peut être expliquée par un simple voyage d’affaires, il n’y a pas eu de témoins évidents ; il le faut, Monsieur Armaury… Vous auriez pitié, si vous vous rendiez compte de l’intensité de leur douleur. La pauvre Madame de Charance n’est plus qu’un corps sans âme, c’est le mot. Elle aimait cette enfant, elle la chérissait d’une façon à la fois si tendre et si ingénue… C’est un effondrement sans limites. Vous atteignez cette famille dans sa plus haute renommée, dans ce qu’elle a eu jusqu’ici de plus valeureux ! Il n’y a plus qu’un père écrasé, anéanti, qui va avoir à répondre devant le monde du deuil le plus lourd et le plus lamentable qu’on puisse porter… Oh ! je sais ! je ne trouve pour vous exprimer tout cela que des épithètes bien banales ! Il vous faudrait voir la chose ! Dites-moi que vous avez fui dans un mouvement instinctif, dans une de ces minutes tragiques qui frappent quelquefois les hommes les plus intelligents et les plus élevés… ce qu’on appelle le beau sombre ; car le mal a aussi sa beauté sombre et il a toujours séduit les hommes de pensée. Mais, Monsieur, il y a aussi le beau radieux, qui vient du renoncement et qui, vous le verrez, est une émotion très douce, très pure, très grande… car vous allez leur rendre leur enfant, n’est-ce pas ? Je vous en adjure, au nom de leur navrement. Vous le devez, Monsieur Armaury ; c’est une question de devoir sacré.