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pourquoi l’instinct doit être regardé et vénéré par nous, comme notre « père nourricier ».

L’instinct de l’amour, — le plus impérieux de tous, — n’est pas seulement l’instinct de la conservation de l’espèce. Il est absurde et sommaire de le réduire à ce rudiment. La moindre observation, même sur l’animal, nous invite à considérer que l’amour est aussi le grand refuge de l’individu contre la solitude, l’immense solitude muette que lui ont imposée la nature et les lois éternelles. Il est un acte de réaction. Pourquoi l’homme qui s’est ingénié à le parer de sentiment, à lui donner une place prépondérante dans la vie, à illimiter sa puissance, a-t-il cru devoir le déformer et l’entacher d’abord par la religion qui met le péché à sa base, ensuite par la société qui l’a surchargé de nouvelles entraves, soumis à ses conventions, adapté à ses nécessités ? Sa logique naturelle semble être trop souvent en contradiction avec les morales qui lui sont imposées par les mœurs. Il semble surtout qu’une complicité universelle des hommes le maintienne en esclavage et en tutelle par crainte de son émancipation. En sorte qu’il a pris du retard sur l’évolution générale et donne bien la sensation d’un captif adapté que l’on maintient volontairement dans l’ignorance de sa force et dont on ne vante plus guère que la souplesse. Mais, déformé, amoindri ou abêti, l’instinct de l’amour reste sublime et admirable. Il domine la matière. L’amour, c’est le cri de rébellion contre le néant de la vie. C’est aussi ce captif charitable, qui arrache aux servitudes l’homme enchaîné par mille autres entraves, entraves de l’atavisme, de l’hérédité, de la loi. Le malheur est que ce sentiment, tenant par sa base