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BERNIER.

Ah ! ne blague pas !…

LA PRINCESSE.

Mais je ne blague pas ; je te remerciais.

BERNIER.

Oui, mais tu souris. Il n’y a pas de quoi sourire… Je t’aime comme un fou, et je te prie de croire que ce n’est pas drôle… C’est odieux, simplement ! Je t’ai prise la première fois en snob que j’étais… j’ai eu la princesse, oui, avouons-le… j’étais flatté comme un peintre que je suis… mais, maintenant, bougre, il ne s’agit plus de ça ! Je suis possédé… je ne peux plus vivre sans ton idée… Tu es devenue tout pour moi… oui, tout… la chair et la vie. Cela a coïncidé avec la révélation de mon goût, de mon intelligence, de mon talent… De même que je ne peux plus voir ma peinture d’autrefois, de même tu me rends mon passé insoutenable. Je ne reconnais plus mes actions de jadis… Ça sent la pipe, dans mon âme d’autrefois, et j’ai envie de fuir, de m’évader… et je suis ici, en effet… à toi… tout à toi !… Ne blague pas ; si tu savais comme c’est déchirant… Je souffre !… (Lui prenant la main.) Tiens, mets ta peau sur ma figure, et tais-toi ; ça vaudra mieux que toutes les paroles !

LA PRINCESSE.

Tu ne serais pas l’être que tu es, Pierre, si tu ne souffrais pas… C’est la petite rançon du bonheur qui t’attend. Ah ! cher chéri ! Tu verras, toi et moi… la vie que nous allons avoir… que je t’offre !… Ton art, tes goûts, ton indépendance, tout