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Près de dix ans se sont écoulés depuis que je confessai ces opinions sur le théâtre. Se sont-elles sensiblement modifiées après dix années de production ? Oui et non. À bien relire ces notes, il ne m’apparaît pas que le fond même de mes convictions ait beaucoup changé. Elles semblent procéder toutes de la même origine. Je crois plus que jamais à la même cause littéraire, artistique et sociale ; pourtant l’homme mûr accorde moins de place à la préoccupation esthétique qui paraît toujours, dans la jeunesse, prédominer. En possession de son métier, un métier qui doit lui devenir naturel, tout artiste, après avoir passé le stade où l’on interroge les lois de son art (ce qui n’est après tout qu’une curiosité de novice) n’a plus, à mon sens, d’autre devoir que celui de se passionner pour les sujets qu’il entreprend et de se laisser aller à leur force, à leur véhémence en toute bonne foi et en toute simplicité de cœur. Il n’a plus qu’à écrire de plein jet. Il appartient à ses personnages plus qu’à son art. La vie littéraire d’un dramaturge est particulièrement brève : une trentaine de pièces de théâtre, c’est à peu près son maximum de production (cinq à six mois pour écrire la pièce, préalablement conçue ; deux mois de répétitions ; le reste pour les représentations, voilà l’ordinaire bilan annuel). C’est peu pour ceux, qui, en cours de route, ont amassé des matériaux, conflits, idées, personnages, personnages surtout, qui prendraient place sans contrainte dans une de ces abondantes et larges séries de romans où les types les plus divers se meuvent à leur aise, alors qu’ils se trouvent terriblement à l’étroit dans le cadre exigu du théâtre ! La scène n’est pas l’amie de la fécondité, mais de la synthèse.

De vingt à trente ans, l’inspiration est capricieuse, riche et diffuse. Dans les œuvres de la quarantaine, le