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sur elle un bien terrible avantage ! Immoral et malsain. Deux vocables qui sont les deux armes ancestrales de la réaction : c’est le sabre, le sabre de nos pères ; — un sabre de garde nationale, et que Prudhomme a fait flamboyer. L’un de ces vocables, — immoral ou amoral suivant les circonstances, — s’il veut signifier atteinte aux conventions bourgeoises, dans ce cas, emprunte un sens dont on peut contrôler le plus ou moins d’à-propos, mais enfin un sens. L’autre : malsain, ne veut rien dire du tout. C’est un argument ab absurdo qu’on emploie perfidement parce qu’il est sans réplique ; il a la force d’un argument d’intimidation : aussi est-il d’un usage courant et le voyez-vous reparaître, suivant les besoins de la cause, devant toute œuvre audacieuse, plus particulièrement devant les œuvres de pitié. Malsain, faisandé, morbide, etc. Tour à tour nos meilleurs livres, nos plus robustes tentatives se sont vu appliquer ces épithètes flagellantes. Dédaignons pareilles pauvretés. Nietzsche assurait que ce sont les peuples ou les individus débilités, qui font le plus appel au bon sens et à la santé, parce qu’ils ont besoin de se sentir étayés par des bornes de toute sécurité…

On a beaucoup agité ces temps derniers en nous nommant en toutes lettres par nos noms d’écrivains l’autre grief d’amoralité. Celui-là est plus spécieux quoique aussi dénué de valeur, en ce qui concerne plus d’un d’entre nous. Si amoral signifie — par son a privatif — privé de sanctions morales, il n’y aurait déjà guère motif à reproche, car toute œuvre d’art, tableau, statue, roman, pièce, a le droit strict de n’être que purement plastique. Seulement amoral emprunte sous la plume de ceux qui s’en servent comme d’une arme, un sens péjoratif, un soupçon d’indignité qui l’apparente singulièrement au mot immoral, avec, en plus, je