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œuvre belle. Et tu as subi la contagion, l’enchantement, pour parler ton affreux langage, jusqu’à la démence ! Tu as accompli jusqu’au bout le trajet jadis parcouru par Jeannine, et ce coup de pistolet logique, admirable, nécessaire, équilibre vos deux folies !…

ISABELLE.

C’est ça… parle, parle… Il me semble que je te crois, en cette minute… parle encore… c’est apaisant… Même si tu mens encore, cela fait du bien, cela berce…

GEORGES.

Ton œuvre, comme tu l’appelais emphatiquement, ton œuvre n’était pas belle… non, même pas cela ! elle était laide… Le seul mot de guérison, que tu employais sans cesse, eut dû suffire à t’avertir… car tu ne pouvais la guérir qu’en tuant son amour. Et en cela, Isabelle, tu commettais comme les autres le crime essentiel, le grand crime de nature, l’atteinte à la liberté juste. Pour être juste, il n’eût pas fallu tenter d’assassiner cet amour, dont elle était innocente, mais au contraire le laisser vivre librement et mourir de sa belle mort. Cela eût été la justice profonde… mais hélas ! elle n’est pas dans nos moyens… Il est de ces choses qu’on peut penser, et qu’il faut bien se garder de faire, et la morale des hommes ne va pas jusqu’à elles ! Quant à moi, comment m’y serais-je pris pour détester cette enfant ? Je ne peux pas lui en vouloir de m’aimer… Voilà la vérité, la vérité belle et toute simple… et qu’il faut oser dire, puisqu’elle est sans offense.

ISABELLE.

Oui, oui… tu as l’air de penser tout cela… tout cela a l’air juste… (Elle fronce les sourcils tout à coup et secoue la tête, de l’air de revenir à sa pensée.) Mais cependant, qu’est-ce que tu veux ? ce baiser… ce baiser… tu auras beau dire… c’est de l’amour !

GEORGES, douloureusement.

Ah ! c’est fini ! Ce mot-là est entre nous.