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méfie. Personnellement je ne partage pas l’avis connu et qu’A. Dumas résume dans le paragraphe que je viens de citer sur la sincérité du public. Elle m’a toujours semblé fort suspecte cette sincérité, et je crois qu’il y a là à son propos une de ces légendes toutes faites qui demandent à être revisées. Le public, dans les grands théâtres, jusqu’à un nombre très avancé de représentations du moins, est un petit monde de choix fort au courant. Ce n’est pas la foule, la juste foule. Il croit faire partie de l’élite — cette fameuse phalange qui existe en effet mais dont personne n’a encore vu l’uniforme ; — il apporte ses haines, ses préjugés, ses convictions, ses préférences, son snobisme et aussi l’humeur changeante de ses prédilections, et croyez bien qu’il ne se prive pas de faire de la « politique littéraire ». La preuve de son insincérité c’est qu’il manifeste bien haut ses impressions, — ce qui ne se produit plus, passé certain nombre de représentations. Pourquoi voudriez-vous qu’un homme abdiquât à la porte d’un théâtre des années d’habitudes intellectuelles et dépouillât l’insincérité de sa vie ? Il apporte au contraire la prétention sommaire de ses juridictions dans quelque branche d’art que ce soit. L’homme ne cesse jamais d’être homme en aucune circonstance et le pouvoir du théâtre n’est pas tel, quoi qu’on dise, qu’il le transforme ou l’arrache à lui-même avec cette soudaineté. Non, le spectateur boude très souvent ses propres impressions ; il n’est sincère ni vis-à-vis de lui-même, ni vis-à-vis de l’auteur. Que de fois j’ai vu dans une salle de spectacle, tel s’amuser ou pleurer, qui nie après énergiquement y avoir pris le moindre plaisir ou le moindre émoi ! Snobisme, panurgisme, sentiment vague ou agressif aussi de son pouvoir et de son autorité. De là découle l’indulgence éternelle de ce public spécial, son engoue-