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lèvres, qui me cherchent, après !… Ah ! tu ne m’en auras pas épargné un de tes baisers, à moi, la petite pauvre !… Ah ! je suis un monstre ! Eh bien, alors, dis pourquoi tu me forces à vivre, pourquoi tu m’as arrachée à la mort ? Qui te le demandait ? Qu’est-ce que je t’avais fait pour cela !…

ISABELLE.

Tais-toi ! Tu es horrible ! Tu ne dois pas savoir ce que tu dis, pour me briser ainsi !…

JEANNINE.

Quel soulagement m’as-tu apporté ? réponds ? Cite-moi une joie, une !… Tu m’as rivée à ton bonheur ! C’est pour le voir que tu me forces à vivre ! La torture de ton questionnaire perpétuel, la torture à petit feu, sans répit !… Ah ! tu ne laisserais pas même un jour ma souffrance tranquille ! Et quand je veux la solitude au moins, quand je veux vous fuir, tous les deux, une heure… je ne peux pas ! parce qu’il paraît que cela te bouleverse, ça te remue le sang que je ne sois pas là !

ISABELLE.

Oui, lâche ! lâche ! car ce que tu sais trop, c’est que je meurs derrière les portes que tu fermes, lâche !

JEANNINE.

Mais alors, puisque tu devais me reprocher tout, jusqu’à l’air de cette maison, que comptais-tu donc m’offrir, à la fin, quand tu m’as dit : Reste, je le veux ?

ISABELLE.

La vie ! T’aider à passer le pas. Te porter de l’autre côté de la douleur. Te voir grandir et comprendre.

JEANNINE.

J’ai grandi et je comprends.

ISABELLE.

Ce que tu n’as pas, toi, c’est le droit de me torturer lâchement de doutes affreux, du doute de ce qui n’est