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voici : il y a au milieu, caché dans les massifs, un peuplier de mon pays, un grand peuplier qui monte vers le ciel. Je le distingue mal d’où je suis, mais je l’entends frissonner dans les cimes. Il est extrêmement sensible et très seul. Il n’est pas d’ici. Il n’y a nul souffle dans l’air tiède et pourtant il frissonne à je ne sais quel vent invisible pour nous, et il murmure là-haut, tout seul, sa longue peine natale. Il ne me voit pas, et pourtant dans cette grande immobilité de silence, le peuplier de mon pays et moi, nous nous comprenons, Et voici que de cette peine inconnue et légère qui l’agite naît une forme féminine. Je pense à vous. Êtes-vous heureuse, mon amie ? Moi, je repars demain, pour un peu plus loin, dans ces contrées graves et amères. Ce sont de belles patries, que vous ne connaîtrez jamais, Isabelle. Il y a des coutumes bizarres et naïves qui vous étonneraient, entre autres, celle-ci (qui explique le petit paquet joint à cet envoi) : Les femmes d’ici veulent que quand le grand mal d’amour vous a pris, on trouve, en respirant certains parfums locaux, l’oubli de son mal. Ce parfum est considéré, ici, comme un remède infaillible. Au fond, je crois bien que c’est simplement de l’eau de roses. Il est peut-être ironique de vous envoyer ce flacon, mais c’est une garantie que vous aurez dans votre tiroir… Ne vous étonnez pas si le flacon est débouché ; c’est que je l’ai respiré… Adieu, ma grande amie. Il est tard. L’air doit être encore plus doux que de coutume, car tout s’est calmé et je n’entends plus le peuplier de mon pays. » Pauvre ami, comme il a dû souffrir !

MADAME HEIMAN.

Romance de guitare !…

ISABELLE.

Oh ! je ferai comme lui, je partirai ! Il ne sera pas dit au moins, que je n’aurai pas su disparaître ! Je m’en irai loin, si loin, qu’ils n’entendront plus parler de moi !