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ou incomplètes de notre métier, je m’aperçus vite du danger personnel à courir ; la conséquence fatale d’une telle application est d’incliner l’œuvre vers le paradoxe et vers des sujets trop voulus. À quoi bon, d’ailleurs ! Eût-on entassé cent et cent réformes valables, la belle avance !… Il y a plus et mieux à faire, il y a tout simplement à s’efforcer de rendre le plus d’humanité possible et de construire les meilleurs drames possibles. Redoutons les théories et plions l’esthétique aux exigences de la libre observation ; les ailes du drame doivent s’éployer sans contrainte d’aucune sorte, pour être fortes, pour être grandes. Ce sont mesquins esprits que ceux qui ambitionnent le titre de novateurs. Pourquoi se restreindre à la tâche stérile de redresser les arceaux faussés ? De son temps, on est toujours méconnu, après on est dépassé, oui, dépassé par les générations suivantes qui portent encore plus loin le flambeau, le goût de la vérité, et reculent les limites où l’on s’était arrêté. Qui pourrait se douter à l’heure actuelle que Géricault, par exemple, fut un révolutionnaire et un excentrique à une époque qui ne prévoyait pas Delacroix ? Ce qu’il faut c’est peindre, sans que les formules, les principes transparaissent à travers le travail, avec le plus d’amour possible, et au milieu de tout cela, sans que nous le perdions jamais de vue pourtant, l’art pourra bien se subordonner à l’inspiration ! Et même ne se dégagera-t-il pas plus intense ou plus naturel ?

Quand je fus persuadé de ce principe que le tempérament de l’artiste est l’essentiel d’abord, et que le don d’être simple et spontané est le plus indispensable des dons, je poussai la barque plus au large, et j’avançai vers les grands sujets, c’est-à-dire vers ceux qui comportent les données plus larges, plus réelles, du sen-