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mourir… Et toi, sœurette… faire du mal… très bien ainsi… tu verras… (Il laisse tomber la lettre, stupéfait. Silence. Il se rapproche timidement, avec émotion, d’Isabelle.) Isabelle, vous pleurez ?

ISABELLE.

Non… je reste atterrée… atterrée… Oh !

GEORGES.

Je vous jure que, pour ma part, j’ignorais… (Geste d’impuissance.) Je vous demande pardon.

ISABELLE.

Pourquoi prenez-vous cet air honteux, comme si vous aviez à vous excuser de quelque chose ? (Le regardant.) Dieu ! il s’agit bien de cela ! Ma Jeannine qui voulait s’en aller ! ah bien !…

GEORGES.

Oh ! s’en aller !… l’aurait-elle pu ? Vous voyez…

ISABELLE.

Avoir tout pensé, tout calculé, s’être appliqué l’âme à la sienne, on peut dire avoir tout prévu… pas une minute, cette chose stupide, cette insipide banalité… C’était trop simple à imaginer, évidemment !… Ah ! la vie est encore trop bête pour que la raison soit bonne à quelque chose !

GEORGES.

Mais aussi, que diable, qui eût pu prévoir ?… (Levant les bras au ciel.) Ça arrive donc encore, ces choses-là ?

ISABELLE, continuant fiévreusement.

Ainsi, elle m’a caché cela à moi, obstinément ? Mais à y réfléchir une seconde, on est épouvanté, Georges ! Oh ! comme elle a dû souffrir ! Le drame horrible !…

GEORGES, essayant de calmer le tumulte.

Peut-être a-t-elle cédé, au contraire, à une ivresse nerveuse. Elle n’a peut-être pas du tout réfléchi. À seize ans, on veut toujours mourir tout de suite ! Elle attribue peut-être à l’amour des déceptions imaginaires. À cet âge, sait-on ?