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espèces, dans un but purement esthétique dont ils ne verront jamais le résultat, puisqu’il ne pourra être atteint que dans des centaines d’années.

Si court que soit pour lui le chemin parcouru, qu’on permette à l’auteur un regard en arrière, non pour se louer lui-même le moins du monde, mais pour indiquer aux rares personnes de bonne volonté qui pourraient y prêter un peu d’indulgente attention, l’esprit qui a présidé à la conception de ses drames, le fil conducteur qui l’a mené de l’un à l’autre.

Le jeune homme, presque l’adolescent, qui, dans la forêt bretonne du Huelgoat, pour avoir écouté un paysan chanter, laissa tomber ses pinceaux et se prit à crayonner fiévreusement sur ses genoux les pages de La Lépreuse, ne se doutait certes pas à ce moment qu’il devait par la suite donner des rejetons à cette songerie passagère. Il essayait seulement, pour son plaisir personnel, à travers la chanson populaire, de retrouver un peu la source maternelle de nos âmes, là-bas, dans ce tragique primordial et divin de la légende. Inconsciemment, il posait cet humble petit drame au seuil de sa jeunesse, comme une invocation salutaire aux divinités lointaines de la Vérité et de la Poésie. La Lépreuse, c’est un peu (très peu, mais un peu) de l’âme ancestrale dont nous sommes tous sortis ; son intrigue met en présence les forces primitives de la nature, le drame de l’homme et de la femme, tel qu’il se dressa d’abord, sous les grands chênes, au bord des flots et sous le toit des villages. L’Holocauste qui vient après (car tel est le premier titre qu’il conviendrait de restituer aux quatre actes