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même pas le même langage… Et puis, comment dire… Il n’a pas des sentiments… (Elle cherche et puis laisse tomber de ses lèvres avec un snobisme très accentué et un peu méprisant.) d’homme du monde… Est-ce que je vous choque en disant cela ?

GENEVIÈVE, amusée et faisant des gestes de dénégation.

Du tout, du tout !…

GYSÈLE.

Vous souriez ?

GENEVIÈVE.

Oh ! du tout… mais pendant que vous parliez, mes yeux sont tombés sur une phrase de ce livre que je lisais tout à l’heure : « Quand tu sens que tu vas pleurer, pense… (Elle s’arrête, la considère, et avec un sourire.) aux autres… »

GYSÈLE.

Je sens bien que vous me prenez pour une petite bête… Non, madame, non… Je suis seulement d’un autre bord, d’une autre espèce, voilà tout… Il y a des races qui ne peuvent pas se rencontrer. La mienne est faite pour produire des ratés, des aventuriers ou des grues… vous voyez que je ne m’illusionne pas !… J’ai la consolation de penser que je m’en tirerai seulement avec un peu d’élégance… Ce ne sera pas plus gai pour cela !… Je suis de celles dont les hommes disent : « C’est une rosse ! » Et en effet, j’ai un grand besoin de liberté et pas de cœur. (Geneviève sourit. Gysèle la regarde dans le blanc des yeux.) Ne riez pas, madame, c’est très douloureux. (Devant l’expression sérieuse de Gysèle, Geneviève s’arrête.) Même quand on pleure à côté de moi, même quand c’est quelqu’un que j’aime, j’ai l’impression d’un grand vide sec au cœur… et de l’impatience… Tous les jours, on se dit : Ça viendra, ça viendra peut-être… et de jour en jour c’est l’impression, au contraire, que ça manque sous le pied à chaque fois… C’est excessivement douloureux, madame. Ceux qui n’ont pas subi cette sorte d’effort et de vide ne