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nous les verrons s’accomplir sans grand bouleversement apparent, puisqu’elles seront seulement à base de vérité plus intense et plus ressemblante à la vie.

Déjà, de nos jours, une pièce de théâtre meilleure au point de vue art que telle autre ne se distingue point d’une pièce moins valable par des signes d’apparence bien caractéristiques. La différence ne réside ou du moins ne paraît résider que dans ce je ne sais quoi de plus profond et de plus réel auquel le public devient heureusement assez sensible, tout en ne le discernant pas du premier coup d’œil ; le public se rend, en effet, toujours assez mal compte des différences essentielles qu’il y a dans la littérature de son époque. Il peut confondre les vraies productions et les sous-produits, surtout si on ne les lui désigne pas. Il suit ou subit les métamorphoses que nous lui imposons, soit avec plaisir, soit avec malaise, mais en tout cas, sans jamais se les expliquer nettement. Il ne se rend pas bien compte de ce qui se passe. Toute beauté nouvelle lui paraît choquante à cause de ce qu’elle abolit en lui d’acquis et de précédent ; mais il n’analyse pas ses sensations. Il attend d’elles une source de jouissances ou d’émotions. C’est par là même qu’on peut l’atteindre en dépit de sa résistance naturelle. Il ne faudrait pas ajouter, à vrai dire, trop d’importance à cette résistance passagère de la foule ; l’évolution artistique de la scène n’en sera pas retardée. Le théâtre dépouillera fatalement et peu à peu l’innombrable faisceau des conventions, ce poids mort qu’il traîne comme un boulet à travers les siècles. Car il faut que l’art dramatique devienne la chose admirable qu’il lui appartient de devenir. N’est-il pas en somme l’art unique où tous les autres viennent se fondre, puisqu’il est la parole aussi bien que le