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Aimer une femme !… aimer !… Voyez-vous, petite, vous redoutiez de vous abandonner à un amateur d’expériences. Eh bien, non, je dissimulais, pour ne point vous effrayer, une attirance plus digne… Mes passions d’autrefois je les ai crevées sous moi, comme de vieux pur sang épuisés à la course… Il ne me reste qu’un cœur neuf, inemployé, tout enivré de vous… Je vous aime avec tendresse… j’aspire à vous… à cette convalescence… Votre fraîche image s’est installée ici, depuis des mois… Il y a si longtemps déjà que vous avez traversé les murailles !… (Étonnée de ce langage si inattendu de la part d’un viveur endurci, elle regarde les murailles désignées, naïvement, comme pour y chercher une issue.) Allons, allons… pas de nuage dans vos yeux, toujours si limpides, si pétillants !… Quel contraste curieux !… Tantôt vous êtes une enfant enjouée qui oublie tout… vous avez quinze ans !… Tantôt on découvre en vous une maturité, une clairvoyance amère qui ferait croire à une très longue expérience amoureuse, si l’on n’était absolument persuadé que vous êtes demeurée sage, sinon innocente.

JESSIE, (qui déchire maintenant des fleurs.)

Ah ! mon ami, c’est qu’en effet la vie n’a pu me laisser beaucoup d’illusions !… Si vous imaginiez ce qu’est, au fond, l’existence ratée d’une jeune fille de mon espèce !… N’en parlons plus… C’est fini !

CHAVRES.

Vous avez lancé ça, comme vous auriez dit : « Tant pis ! on liquide ! »

JESSIE.

C’est de votre faute aussi… Oui, vous avez adopté le ton grave et je me suis mise à l’unis-