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puéril.) il ne doit pas y avoir une grande différence !

MAX.

Pas de différence ? C’est-à-dire qu’il y a tout un monde ! On dit qu’en amour, qui n’a pas tout donné n’a rien donné… Ah ! certainement, j’ai eu de toi, Jessie, des bonheurs tendres, des illusions de caresses que je n’oublierai jamais, mais la pensée que là… ce soir… un autre… un imbécile quelconque va posséder… tout ce que je n’ai pas eu… dont je suis sevré jusqu’à la torture… que ton petit corps, que ton parfum… la volupté de ta chair vont être profanés par cette brute… ce vieux… non, non… c’est insupportable !… Il faut que j’intervienne, et c’est pourquoi tu m’as vu sortir soudain, comme un loup d’un fourré pour venir réclamer ma part, et à coups de dents s’il le faut… je te le garantis.

JESSIE.

Comme un loup… oui… un louveteau, avec tes yeux de fièvre et tes crins soulevés ! (Elle recule et passe ses mains sur son front.) C’est étrange, ce que j’éprouve ! Je sens dans l’air, ce soir, une espèce d’oppression, d’étreinte… On dirait qu’il se passe ici ce qui se passe pour les bêtes, lorsque, dans un pays, dans un bois, il y a une femelle dont le moment d’amour est venu… C’est l’heure de la possession… Depuis que j’ai décidé d’appartenir à quelqu’un, on dirait qu’à mon insu la nouvelle s’est propagée très loin… comme une odeur… ça se sait… ça se devine… les mâles sont en marche… Je me sens entourée, froissée, capturée… Ceux-là mêmes que je ne connais pas semblent ne se rapprocher de moi que pour ça !… Tiens, tout à l’heure, il est venu ici une visite d’affaires à pro-