Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BARNAC.

De quoi, diable ! s’agit-il, vous demandez-vous en ce moment ?… Eh bien, voici… Il y a un vaste mot dont se sert le monde entier, si vaste qu’il englobe tout, qu’il résume, pour nous, joie, douleur, lutte, rage, corps à corps : « l’Amour »… De temps en temps se glisse bien dans la conversation, entre deux êtres qui se chérissent, un autre petit mot, tout petit, auquel on ne prête pas attention, tant il paraît inférieur… C’est ce petit mot-là pourtant qui est la clef du cœur. C’est celui qui devrait toujours, peu à peu, se substituer à l’autre tant il le dépasse en beauté, tant il est la vraie expression du sentiment pour ceux qui sont réellement aimés. Écoutez comme il sonne bien ce petit mot… comme il paraît beau quand on le prononce bien : « La Tendresse »… Est-ce qu’elle ne devrait pas toujours survivre à l’amour ? Est-ce qu’il n’est pas abominable que deux êtres qui se sont profondément chéris pendant des années ne sachent plus rien, tout à coup, l’un de l’autre… plus rien !… Pourtant, après, bien après l’adieu, on voudrait redire encore : « Mais non, ne fais pas ça… Tu as tort… Quelle bêtise !… Moi, à ta place, je ferais ça… Le dernier chapeau que je t’ai vu ne t’allait pas bien… » Mille choses bêtes, mille choses profondes ! Cette tendresse spiritualisée qui survit à tout, à la possession, à la vie commune, est-elle donc impossible, puisque tous les êtres la repoussent même au mépris de leur bonheur ?… Ah ! voilà, je sais bien… jeune c’est rudement difficile !… Mais vieux ?… À un âge où l’on renonce à l’amour physique, n’est-elle pas toute naturelle, et toute bonne, la tendresse ?… Quel inconvénient présente-t-elle ?… J’ai tellement pris l’habitude de