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MARTHE.

Non… Ne me regardez pas… Je cherche un endroit où laisser passer cette crise qui m’étouffe. Ne me regardez pas… C’est l’affaire d’une minute. (Il reste assis, le dos à elle, près de la cheminée. Machinal, il tisonne. Elle se cale dans un angle éloigné de la pièce et, debout, se laisse aller, tuméfiée de larmes, aux hoquets qu’elle réprimait avec tant de peine et qui donnaient à sa voix quelque chose de rauque et de cuivré.) Pas de chance !… Pour une fois que vous réentendez ma voix après deux ans, j’aurais tant voulu qu’elle ne fût pas altérée par les larmes, comme la fois où nous nous sommes séparés !… J’aurais voulu vous laisser, quand je m’en irai, un autre souvenir plus ressemblant au passé… Une femme abîmée par ces machines à pleurer, c’est vilain !… Et puis, ce n’est pas moi, ce n’est pas celle que vous avez aimée… Celle que vous avez aimée riait toujours… Vous vous amusiez de sa gaieté, vous la faisiez rire pour le plaisir seul de l’entendre… Alors, maintenant, cette affreuse voix cassée derrière vous… Mais voilà… je me calme… Vous entendez ?… C’est déjà mieux… (Elle cherche et s’essaie à retrouver le diapason normal, assuré.) Reconnaissez-vous maintenant le timbre habituel ?… Ne vous retournez pas encore… Vous me direz si, en fermant les yeux, il vous semble que c’est tout à fait moi ?… Tenez… il est onze heures du matin, l’heure du footing, la porte s’ouvre… (Elle attaque sur un timbre gai, enfantin.) « Bonjour chéri !… Encore au lit ? Gros paresseux, va !… Il fait si beau dehors… Je t’ai apporté des gâteaux… Tu es content !… Tu m’aimes ?… Tu m’aimes bien ?… Tu m’aimes beaucoup ?… » Dites, dites, est-ce bien ma voix maintenant ?…

(Mais la voix s’est altérée rapidement et Marthe est tombée sur le lit.)