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vieux maître scribe, poète mahométan, qui écrivait mes premières lettres d’amour dans une échoppe à Salamanque… Je n’ai pas oublié ce conseil. Ce qui me manque, c’est le style… je m’en rends compte… Je n’ai pas assez étudié… Mais la littérature n’est pas mon fait !… Une sèche précision, une brutalité cordiale !… Soyons vrai… Le style des grands capitaines… « Sire, j’ai gagné telle bataille… J’ai perdu telle autre… » Il n’est pas d’apparence que quelqu’un lise plus tard ces griffonnages. J’aurai le sort commun. Aussitôt dédaigné, aussitôt oublié. Néanmoins, Don Juan, avoue-le, si tes mémoires ne nourrissent pas l’ambition secrète de devenir quelque jour la lecture de chevet d’une femme inconnue, pourquoi as-tu choisi le parchemin le plus épais, chez le brocanteur ?… Juan, mon ami Juan, tu m’affliges !… En tout cas, à dater d’aujourd’hui, par prudence, soigne ton style… On ne sait jamais ce qui peut arriver. Fais des descriptions, comme tout bon auteur… Ainsi, ce soir, un bon auteur décrirait inévitablement le château où l’action se passe… Décris. (Il se lève et écrit debout.) « Flanqué de quatre tours, le château de Nunez s’enlevait sur le ciel… »

(Il disparaît, en inspectant les fossés.)


Scène IV


UN HOMME, LE CHAPELAIN, LE DUC DE NUNEZ, DES OFFICIERS, LE CHEVALIER, L’ÉCUYER, DES SOLDATS.

L’HOMME.

Par ici, monseigneur.

NUNEZ, (surgissant.)

Don Juan ! Don Juan, est-ce toi ?…