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BARNAC.

Si c’était vrai, pourquoi, malheureuse, cette vie double ?

MARTHE.

Ah ! voilà ! Paul, tu ne te trompais pas, tout à l’heure, et il faut que tu connaisses la vérité… Voilà… figure-toi… (À voix très basse.) je suis un monstre.

(Elle le dit d’une façon si étrange que Barnac a presque un mouvement de recul et d’effroi glacé.)
BARNAC.

Ah !

MARTHE.

Oui… je suis un monstre affreux… celui dont vous ne parlez pas dans les livres, dans vos pièces, tant il est abject… Et on a bien raison de le passer sous silence, comme indigne d’être noté !… Il existe pourtant, à plus d’un exemplaire… Écoute… Je suis ce monstre : (Elle se lève pour l’aveu.) la femme qui a des sens !… Oui, voilà ! Quelle misère ! Je le sais bien, une femme qui cède à des attirances purement physiques est une femme méprisée et méprisable ! (Avec élan.) Paul, je t’adore, entends-tu, je t’adore !… De quel mot plus vrai puis-je nommer l’attachement extraordinaire qui me lie à toi… mais, je t’en conjure, pense un peu à mon passé, à la femme que j’étais avant de te rencontrer ?… À mon âge, on ne refait déjà pas ses sens, ses désirs, ses habitudes ! Un grand esprit comme le tien, qui est descendu dans le fond du cœur humain, devrait comprendre ces faiblesses, quitte à me repousser après avec dégoût !… Et, d’ailleurs, si tu n’en avais pas eu le soupçon, pourquoi m’aurais-tu fait surveiller au point d’attacher une gardienne à mes pas ?…