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même en valeurs tout à fait exceptionnelles (je parle de nos actes et non de nos œuvres, bien entendu). Satisfaction toute mentale, pure spéculation d’amour-propre, mais la plupart du temps aussi jeu de dupes, puisque nous sommes seuls à porter nos mérites médiocres à un taux aussi élevé ! Orgueil de n’avoir pas existé en vain ! Sources communes à la vanité et à la gloire où chacun s’abreuve et vient mirer son destin ! Cette évaluation avantageuse ne dépasse d’ailleurs pas le plus souvent le terme de notre existence. Cependant il arrive parfois que le consentement unanime ratifie les titres chimériques que tel homme s’attribuait pour prétendre à une suprématie dont il n’était pas cependant le représentant particulièrement désigné. Autour de lui, dans ce cas, se crée la légende et l’idéalisation commence. Nous en avons tellement besoin pour guider nos pas incertains ! D’un simple hère, le sentiment populaire fait un héros : il fabrique à la douzaine ces surhommes à la Rose et au Glaive que la nature humaine de temps en temps sent l’impérieux besoin d’ériger en exemples pour se masquer à elle-même la matérialité ou la cruauté de ses instincts. On amplifie et, peu à peu, on fait œuvre de falsificateur. Ma pièce, justement, s’appuie sur cette constatation : qu’à peine un acte est accompli, il entre dans le domaine de l’interprétation fantaisiste ; d’où impossibilité de posséder jamais la vérité, d’établir une critique rationnelle et rigoureuse des faits, même quand ils nous sont contemporains ; d’où vanité de l’histoire, livrée aussi bien au subjectivisme de l’historien qu’aux chimères collectives de la postérité. Et pourtant la vérité est une et son existence indubitable. Nous ne l’embrassons jamais, elle expire avec le fait.