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rent gémir également, avant de disparaître, en appelant désespérément, au bord de l’abîme nocturne, ces bras invisibles de la tendresse, dont la privation est pire que l’agonie elle-même ? Eh bien ! devant la mort naturelle ou accidentelle de l’amour, quelle qu’elle soit, je suis de ceux qui éprouvent toujours une mélancolie. J’en ressens toute l’abominable injustice. Il me semble que c’est toujours un attentat à la lumière.

Car ce qu’il y a de plus émouvant à considérer dans deux cœurs qui s’aiment c’est leur contribution à l’amour universel, à ce vaste espoir, hélas ! toujours déçu, qui forme notre plus ferme et notre plus haute croyance… Mes humbles héros d’aujourd’hui, couple absurde et charmant, s’aiment et ne sont pas assortis. La nature, l’impassible nature, exige leur séparation. Leurs luttes, leurs stratégies à tous deux, pour échapper à cette fatalité qu’ils portent en eux, c’est toute la pièce. Mais s’ils s’efforcent de faire survivre, au milieu des décombres, un peu de cette tendresse dont l’amour est pétri — comme font des naufragés qui élèvent au-dessus des flots la cassette précieuse où ils ont enfermé leur plus cher trésor — j’estime qu’il y a là une assez grande beauté. Voyez la beauté, recherchez-la dans les plus humbles spectacles. C’est en eux qu’elle est vraiment expressive et significative, parce qu’elle y est à l’état d’élément. La paillette d’or accroche la lumière sur sa substance, tout autant et mieux que le lingot. N’y eût-il pas plus gros de pitié qu’un œil de roitelet, comme disait Shakespeare, cela suffit pour que tout le ciel s’y mire.

H. B.
Janvier 1921.