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milles ? Embrasse-moi fort ! Ah ! ça va mieux, on retrouve un peu ses habitudes ! Quand les retrouverons-nous toutes ! Enfin, il ne faut pas penser à notre misérable personne !… C’est égal, je me demande, vois-tu, comment une jeune fille comme Ginette qui a perdu sa famille, ses biens, la moindre chance de bonheur, peut conserver une santé morale et un équilibre pareils dans la gaîté… car c’est de la vraie gaîté qu’elle éprouve et qu’elle dispense à tout le monde. On l’entend chanter dans les couloirs de l’ambulance…

PIERRE.

C’est sa jeunesse !

CÉCILE.

Il n’y a pas qu’une question de jeunesse. Si tu la voyais, vraiment elle m’étonne toujours ! Quand les auxiliaires sont fatiguées, elle balaye la salle elle-même, vide les cuvettes, distribue la soupe ! Tout à l’heure elle a pansé un phlegmon et une main saignante aux phalanges arrachées, avec un sang-froid de vieux médecin.

PIERRE.

Mais toi, Cécile, tu en fais tout autant !…

CÉCILE.

Oui, nous en faisons peut-être autant, mais je ressens malgré tout une tristesse générale, des révoltes contre la souffrance, une mélancolie s’y mêle, et cependant j’ai mon intérieur, mon foyer que je retrouve tous les jours à la même heure, j’ai toi… moi !… Tandis qu’elle ! M’a-t-elle frappée dès la première nuit que nous avons passée ensemble à l’hôpital quand sont arrivés les grands blessés !… C’est une chose fantastique que la première nuit à l’hôpital où une trentaine d’hom-