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faire les funèbres besognes, j’ai cloué moi-même le cercueil de mon père !

MADEMOISELLE TINAYRE.

Mais, Mademoiselle !

GINETTE.

Après je me suis enfuie. Je suis restée trois jours en pleins bois sans manger. Ensuite, j’ai fait 150 kilomètres à pied, sans un sou, sans linge, laissant derrière moi tous ces deuils et ma vie écroulée. Je me suis fait rapatrier ici où ma cousine a bien voulu me recueillir, je consacre le plus que je peux de mes heures et de mes nuits à tous ceux qui ont souffert autant et plus que moi.

MADEMOISELLE TINAYRE, (l’interrompant.)

Encore une fois, Mademoiselle, je ne doute pas de vos mérites et cela n’a aucun rapport.

GINETTE, (reprend.)

Je crois porter dans mon cœur de dix-neuf ans plus de chagrin que vous n’en portez dans le vôtre et avoir payé à la douleur une contribution que je ne vous souhaite pas. Eh bien, malgré tout cela, je ne trouve pas mauvais, oh ! pas mauvais du tout, quand je reviens de l’hôpital, de causer quelques minutes avec ce violon d’emprunt ! Lui et moi, nous nous remémorons le bon temps !…

MADEMOISELLE TINAYRE.

Si gaîment que, ma sœur et moi, nous avons parfois l’air de dire notre prière du matin dans un cinéma.

GINETTE.

Tiens ! vous y allez donc !

MADEMOISELLE TINAYRE.

D’ailleurs, s’il ne nous a pas suffi de nous adresser à vous-même, il y a quelqu’un qui pour-