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écrivain que l’on sait vivre dans un isolement complet et qui n’étant soutenu par aucun parti, par aucune amitié, semblait devoir représenter, dans les circonstances actuelles, un des obstacles les plus faciles et les moins lourds à renverser. La tentation était grande ! Il est, en effet, assez anormal que l’homme seul, c’est-à-dire l’homme qui passe de son cabinet de travail à son jardin, et qui a la prétention d’exercer librement au dehors son métier, soit en relation directe avec la grande foule et fasse avec elle échange de sincérité. Il y a là une anomalie évidente. Les ennemis de la liberté de penser voient dans ce libre commerce de sympathies, obtenu sans truchement, un mauvais présage pour l’avenir. La liberté de penser, la seule que pour ma part je réclame, la tradition veut qu’on ait bien du mal à l’exercer, dans notre pays, même lorsqu’elle est sans aspérité et qu’elle s’exprime sans violence ! Mais « l’homme seul » la considère par contre, cette liberté, comme le plus précieux quoique le plus fragile des biens ; la perte de son indépendance est la seule privation dont il puisse souffrir, l’unique risque auquel il soit décidé de ne pas s’exposer. Chacun a une conception particulière de sa vie et de son devoir et il ne faut pas s’étonner que le solitaire entende avoir le bénéfice de son isolement. Pour qui vit loin de toute compétition de carrière, loin de tout honneur officiel et de la vie de relations, de telles résolutions ne comportent d’ailleurs qu’un minimum strict d’inconvénients (être méconnu et provoquer les légendes malveillantes et absurdes, qu’importe !) et, pour s’en garer, il suffit de s’abstraire dans un travail toujours renouvelé. Personnellement, je continuerai donc et il est fort à croire que les coups de boutoir continueront de leur côté ; l’attaque redoublera vraisemblable-