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nous sommes privés !… Trop tard d’ailleurs, maintenant ! C’est irrémédiable. Nous subissons et continuons à subir la conséquence de ce total oubli. La pitié ! Oh ! en nous laissant aller à son élan, nous n’aurions pour cela rien abdiqué de nos justes volontés, nous n’aurions pas arrêté la justice française en si beau chemin… L’élan opposé de nos soldats vers le combat et pour le triomphe de notre cause aurait été plus raffermi encore par la pensée que, là-bas, derrière eux, des frères s’employaient à rapprocher le terme de l’effort sacré, de leur long martyre, sans pour cela rien distraire de nos revendications et de nos buts d’état.

Nous n’aurions point remis l’épée au fourreau ni cessé d’exposer tant de poitrines à la mitraille ennemie ; la même énergie eût été déployée contre l’invasion pour « la victoire du droit et de la justice, » selon la formule désormais consacrée. Mais il n’est point dit que pendant que des millions d’hommes s’égorgeaient, une ligue, un consortium d’intellectuels opposé à celui des fameux signataires allemands n’eût point endigué le flot perpétuellement montant que n’a barré aucune autre écluse que la résistance de nos soldats ; la conscience universelle des peuples est peut-être plus facile à réveiller qu’on ne le pense. La haine a porté partout son fer rouge ; elle a avivé toutes les plaies, mais jamais des mains crispées par la douleur ne se sont élevées entre les combattants ; l’amour, personnage suspect, ne s’est réfugié qu’au cœur des victimes et de leurs consolateurs ; les genoux n’ont pas voulu se plier pour implorer la conscience humaine en délire.

Rien ne nous prouve que la grande voix de la pitié ne se fût pas propagée et n’eût pas apporté une intimidation en Allemagne au moins égale à celle qu’y ont produite nos cris d’indignation