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subitement des proportions si gigantesques et d’en bouleverser avec une telle ampleur les faces, les plans, les aspects que, devant une pareille évolution, le poète épris de réalité commettrait quelque lâcheté à ne point s’emparer de sa plume. Il est utile, il est nécessaire qu’un aussi grand sujet pénètre et inspire l’art le plus vivant, le plus direct et le plus intérieur qui soit, je veux dire l’art dramatique. Mais, par exemple, on ne peut y toucher qu’avec une grande franchise et une totale indépendance d’esprit. Il faut répudier toute fausse éloquence ; aucun de ces faciles appels au patriotisme de théâtre ; rien qui ne soit de la vérité stricte et profonde, comme avant qu’il y ait eu la guerre, — rien surtout qui ne soit de l’art selon ses lois éternelles, ses lois de construction indifférentes aux circonstances. Le temps est venu où nous pouvons peindre et rendre l’extraordinaire, tragique et merveilleuse époque qu’il nous est donné de traverser. Si formidable que soit le sujet, il ne s’agit aucunement encore une fois de modifier les assises essentielles de l’art dramatique ; elles demeurent les mêmes, nous devons nous y subordonner entièrement. Il faut se pencher sur une autre réalité que celle d’hier, voilà tout. Comme toujours, nous devons porter à la scène les êtres les plus représentatifs de notre époque au fur et à mesure qu’elle se modifie. Tel est notre devoir de contemporains, et c’est aussi ce que l’avenir réclamera de nous ainsi que nous le réclamons du passé… En art, il n’y a de types éternels que ceux qui font tenir leur infini dans une stricte réalité. L’auteur dramatique n’est pas à proprement parler un moraliste, c’est-à-dire qu’il n’a point à défigurer la vérité, même au profit des plus belles causes. N’est-ce pas suffisant qu’il puisse demeurer un poète ou un devin du cœur ? Aussi modèlera-t-il des êtres ressemblants, authen-