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que le théâtre n’avait pas encore abordée de front.

Après un recul de plus de deux ans, la guerre peut enfin entrer dans l’art comme elle est entrée dans l’histoire. Que, par toutes les portes ouvertes, elle s’engouffre dans la cité ! Déjà le poème, le livre, l’image en furent avides. Seul, le théâtre s’est tenu à l’écart. C’est un tort ! Je dis plus : tout écrivain chargé de représenter son époque qui n’aura pas tenu compte de l’immense événement, de sa répercussion sociale, du bouleversement qu’il apporte dans le domaine des âmes, aura failli à sa tâche ; cette tâche simple et fondamentale a été, de tout temps, de peindre, à mesure qu’on avance dans la réalité, le monde extérieur et intérieur, tel qu’il se déroule à nos regards. Alors aujourd’hui ? Aujourd’hui ?… Ah !… qui pourrait, qui oserait rester muet devant une France pareille, devant la passion sublime de l’humanité !…

Comprenons-nous bien. Il s’agit d’art. Je ne parle pas des spectacles occasionnels qui purent avoir leur intérêt et leur raison d’être. Il ne s’agit plus de rendre puérilement à nos admirables soldats un hommage dont ils sont lassés, ni d’exalter chez le civil un patriotisme, d’emphase plus ou moins vulgaire, qu’il n’écoute même plus ; de telles entreprises sont périmées. Je réprouve également tous les simulacres d’uniformes militaires qui, à mon avis, profanent la grande tragédie qui se joue actuellement et dont les morts, même au sein de la terre, n’ont pas cessé d’être les acteurs sublimes. Cette tragédie-là ne supporte pas son simulacre… Mais nous n’avons pas besoin de lui pour faire tenir dans nos œuvres l’esprit des vivants, l’esprit des morts, tout l’avenir, l’âme d’un pays ! Notre domaine, à nous, auteurs, c’est la conscience humaine. Ce domaine, la guerre vient de lui donner