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DARTÈS.

Écoutez-moi, Donadieu !… Je n’approuve pas une minute les paroles de mon vieux camarade Wheil, vous n’en doutez pas… sans quoi, serais-je allé à vous ?… Il y a pourtant une impressionnante vérité dans ce qu’il proférait à l’instant… Ceci : on ne change pas un homme en cinq minutes !… Je vais vous faire sur moi-même une triste révélation qui vous atterrera peut-être. Il y a deux parts en moi… Un libertaire qui hait les anciens mensonges sociaux, qui croit, comme vous, au renversement nécessaire des valeurs, aux solutions immédiatement exécutoires, à la refonte de l’organisme social, un qui adore le peuple, le peuple au grand cœur douloureux… qui éprouve l’envie furibonde de se dévouer à sa cause sacrée… oui !… Mais il y a aussi un vieux bourgeois en moi, qui ne se décide pas à mourir !… Je me méfie des oppressions collectives, de l’esclavage des partis !… Je suis un révolutionnaire, certes, mais épris de liberté… d’amour… et non de haine !…

WHEIL.

Et c’est tout autre chose… Tolstoï, mon cher ! Vous n’êtes pas l’homme de ces révolutionnaires-là !

DONADIEU.

On croit toujours ça !… Rien ne ressemble plus à un révolutionnaire qu’un autre révolutionnaire !…

WHEIL.

Dartès, vous resterez dans le vrai !

DONADIEU.

Officiel et légal !