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RENÉE.

Car il a fallu que la vie nous force à cette solitude… pour que sorte de nos deux cœurs une tendresse que nous ne savions pas si parfaite… (Elle l’embrasse tendrement sur le front.) Oh ! cette sale politique qui va te prendre non seulement à moi qui t’aime… mais à la paix de vivre ! Ah ! que je la hais !… Tous ces gens qui grouillent autour de mon père… le tirent par la manche… et qui méditent de le précipiter vers je ne sais quel avenir qui m’épouvante… Tu me pardonneras, mais, que veux-tu, j’ai peur, instinctivement, que tu ne sois pas très bien fait pour cette bataille, papa !… Si tu te trompais sur toi-même… si tu étais simplement… (Elle hésite.) Un penseur !…

DARTÈS.

Toi aussi ?… Oh ! cette expression presque méprisante, dans ta bouche !… Ce qu’elle est devenue de nos jours !… Un penseur !… Eh bien, s’il m’était donné un jour de constater qu’on avait raison de douter de ma force d’action… oh ! ce serait bien la plus cruelle désillusion de moi-même !… Certes, il ne m’a pas été donné encore de défendre des causes passionnément, à coups de dents et à coups de griffes… mais je ne suis jamais tombé non plus dans cette nonchalance qui ouvre les portes de la sénilité !…

RENÉE.

Voyons, papa, ça ne te suffit donc pas d’avoir raison, d’écrire librement ce que tu veux… d’être si grand ton isolement. Car tu vas te diminuer… oui, tu vas te diminuer dans la lutte vulgaire !… Tu vas te rabaisser à leur niveau !…

DARTÈS.

C’est possible… mais le devoir, Renée, le de-