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renoncement, le sacrifice de soi, comme le plus haut sommet de l’énergie humaine, et l’amour déchiré, martyrisé, ruiné par l’héroïque suggestion, voilà le récent et éternel débat, voilà les deux faces de la guerre. Nous n’en avons pas seulement le spectacle sous les yeux, mais on dirait que les deux êtres cohabitent en nous-mêmes, inaccordables tant que durera la catastrophe. Ce ne sera que durant la veillée du corps, autour de la mémoire de la victime absente, que devra s’élever entre les deux veuves, après le duel tragique, un accord scellé par l’échange de la méditation. L’heure alors sera venue des devoirs respectifs. Ce pacte pourra être divers selon les circonstances et selon les gens. Chacun aura son devoir établi d’après les responsabilités engagées. Ce devoir multiple est aussi infini que toutes les formes qu’auront prises le sacrifice et la douleur.

Ici, j’ai voulu désigner seulement le devoir futur de « l’appeleuse », l’Amazone, cette belle entraîneuse qui a parlé non pas au nom de la nécessité du combat, mais au nom de la beauté en soi, du sacrifice à la patrie considéré comme le plan le plus élevé de l’énergie humaine, le sursum corda définitif. Car il ne faut pas qu’il y ait confusion dans l’esprit du public sur cette terminologie un peu vague : Idéal, ni croire non plus que tous les soldats qui font leur devoir, en exposant leur vie, se sacrifient à une même catégorie d’idéals ; certains ne font pas œuvre d’idéalistes le moins du monde… Être brave, défendre son pays menacé et payer même cette défense nécessaire de son existence implique une idée d’abnégation civique fort belle, mais positive, rationnelle, qui ne s’évade nullement du réel et ne s’oppose à aucune réalité objective. On peut être un héros dépourvu d’idéal, nous le voyons chaque jour dans la guerre présente. Un