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ter pour vous ! Il n’y a pas deux ans qu’il est mort ; il n’y a pas six mois que la paix est signée, déjà, vous ne pensez plus qu’à vous refaire une vie, un bonheur intime, partagé. Comment donc, à vous qui avez détruit le foyer, il vous en faut un, maintenant ! Et qui choisissez-vous, vous l’héroïne, l’enrôleuse de héros ?… Justement un de ceux qui ont vécu à l’abri du danger, de la tourmente ! Mais ça vous est bien égal d’être conséquente avec vous-même !… Celui-là, vous ne l’avez pas poussé à la guerre autrefois ! Qu’est-ce que ça vous faisait qu’il y fût ou non ! Vous n’en souffriez guère…

GINETTE.

Parce que je ne l’aimais pas !

CÉCILE.

Ah ! le mot terrible, effrayant !… Il aurait passé pour sublime, autrefois !… Maintenant, de sang-froid, il donne le frisson !… Alors, et lui que vous aimiez, celui qui a eu tout le courage et toute la beauté, c’en est fini de lui ! Quelle part a été la sienne ! Ah ! je devrais triompher, car c’est une éclatante revanche que celle de vous découvrir maintenant si faible, si banale, si quelconque ! Mais je ne peux pas ; c’est plus fort que moi. J’ai envie de crier, comme s’il pouvait m’entendre : « Tu vois le peu qu’était cet amour-là… Et comme c’était bien moi la vérité ! »

GINETTE.

Votre accusation manque de contrôle… Je vivais cachée, confinée dans la retraite. Vous n’avez pas pu me juger.

CÉCILE.

Oui, vous avez vécu cachée, c’est vrai, quoique avec un peu plus de courage ou moins d’humilité,