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mence ?… Est-ce la liberté qui va rugir au contraire son cri suprême de dégoût et de rébellion ?… Qui sait ? Le tocsin sonne… Le canon s’approche déjà de ma maison de campagne… Les pigeons blancs du toit prennent leur vol… Les champs désertés ont l’air de préparer des tombes… On m’annonce que l’ennemi est proche. En effet, les premiers obus incendient la forêt… Il faut partir… Chaque coup de canon fait s’écrouler des roses sur la terrasse… Non, non, ce ne sera pas la défaite ! non, non, ce ne sera pas la mort de toute beauté !… C’est impossible ! Des rêves rajeunis renaîtront ; des volontés plus extraordinaires encore vont sortir de ce fumier sanglant… Et si, par hasard, ce n’était pas là les réalités que ton destin nous réserve, — ô Insatiable ! — je m’inclinerais encore sans comprendre, persuadé que tes fins sont merveilleuses et que nous ne pouvons les embrasser ; mais je jure qu’elles ne seront jamais en tout cas le règne de la Force, de la Bestialité, de l’Esclavage. Oui, c’est ma fierté d’homme de le croire, quand bien même la Raison dévasterait momentanément l’univers, même si elle s’acharnait contre la perfection de son passé… C’est vers la liberté, vers les flambeaux, que l’humanité sanglante tend « d’un geste droit son cœur comme un jet d’eau ».

Comme tous les Français surpris dans leur vie contemplative, tel est l’acte de foi que je prononçai fervemment quand il me fallut quitter ma maison, mes champs, sous la ruée des obus, et abandonner aux envahisseurs le morceau de sol exigu où chacun continue le rêve des ancêtres…

Peu après, c’était la « Marne ». Jours bénis ! Aurore dans le crépuscule ! Ah ! les belles heures où l’on vivait suspendu à l’espoir, accroché aux minutes comme l’enfant aux mamelles qui vont lui prolonger le souffle. C’était enfin la preuve de l’es-