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mes pressentiments ne me trompent pas, j’ai la certitude que vous allez recevoir une lettre.

CÉCILE.

Vous m’avez déjà dit vingt fois que vos pressentiments ne vous trompaient pas ! Et puis, non, j’aime mieux ne plus attendre ! J’aime mieux me faire à l’idée de ne rien recevoir jamais… Toutes les mères et toutes les femmes de France qui n’ont pas de nouvelles doivent éprouver ce sentiment jusqu’au retour définitif. Elles vivent dans une espèce de vie intermédiaire, oui… ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant là-bas… Il vaut mieux ne pas savoir, il vaut mieux attendre toujours… Nous sommes maintenant comme les femmes de ces marins dont on me parlait, les marins d’Islande ; tous les jours elles attendent un peu plus un retour qui ne se fera peut-être jamais… alors elles arrivent ainsi insensiblement à la vieillesse en gardant l’espoir… et quand on leur apprend qu’ils sont morts, elles s’aperçoivent qu’elles le savaient depuis déjà longtemps !… (S’asseyant au piano.) Chantons la chanson de la fidélité… l’épouse qui attend éternellement celui qui ne revient pas… Voulez-vous ? La chanson de Solveig.

GERMAINE, (entrant.)

Monsieur Duard.

GINETTE.

Est-ce que ?…

CÉCILE.

Recevez-le, faites monter, je vous laisse.

GINETTE.

Vous ne le recevez pas ?

CÉCILE, (souriant.)

Comme ce n’est pas pour moi qu’il vient d’abord !