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malheur si on n’était pas si ferme, ni si rassuré. Ginette, nous allons faire un peu de musique, voulez-vous ? Vous avez le temps ?

GINETTE.

Oh ! je n’ai pas besoin d’être là-bas avant une demi-heure.

CÉCILE.

Et puis après j’irai me promener seule près du canal.

GINETTE.

Décidément, c’est votre promenade favorite.

CÉCILE, (feuilletant les partitions.)

Oui, c’est là où nous nous promenions dans les premiers temps de notre mariage. Instinctivement, on recherche tous les endroits où on a été heureux ensemble, n’est-ce pas ? Et je l’ai tant parcouru, ce chemin, avant la naissance de la petite ! Nous allions souvent jusqu’à la croix Saint-Bernard à bicyclette, dans notre jeune temps… J’entends encore craquer les branches sous les roues de ma bicyclette… Tous les parcours que l’on faisait à deux deviennent si émouvants maintenant ; je ne peux plus entrer chez le marchand de tabac du coin sans un petit battement de cœur… (Se reprenant.) Et c’est absurde parce que vous connaissez mon état d’âme, n’est-ce pas ? Mais on serait nerveuse à moins. Voulez-vous que nous jouions du Grieg ?

GINETTE.

Volontiers. (Elle reprend son violon et accorde.) Il faut que j’achète de la colophane meilleure ; celle-là est en mille miettes.

CÉCILE.

Je ne vous ennuie pas au moins avec tous mes souvenirs. Les souvenirs, c’est si personnel !