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je vous poussais exprès, je vous aguichais pour voir jusqu’au fond de votre conscience, pour y lire ce cri de reproche que vous n’avez jannais osé me lancer en face… alors j’ai bondi comme sous un coup de cravache, je suis allé droit au bureau militaire…

GINETTE.

Pierre, vous n’avez pas signé ?

PIERRE.

C’est tout comme ! Je voulais voir si j’étais en règle : je le suis. Je n’ai plus que ma signature à mettre. Dans un quart d’heure, ce sera fait.

(Il est là, face à elle, souriant, radieux.)
GINETTE.

Mais votre femme, est-elle au courant… votre femme ?

PIERRE.

Jamais de la vie par exemple ! Je n’ai mis personne au courant de mon travail de conscience.

GINETTE.

Mais alors vous n’avez pas le droit. Vous devez connaître son opinion, peut-être son désaveu. Vous avez une fille ! Réfléchissez.

PIERRE.

C’est vous qui me parlez ainsi, tout à coup ? Ah ! je ne vous reconnais pas ! Qu’est-ce que cette objection soudaine et timorée ! Est-ce qu’ils n’ont pas tout sacrifié, eux, leur famille, leurs enfants, leur femme, comme je vais le faire, moi le retardataire ! Ce qui est bon pour les autres, n’est-il pas bon pour moi ? Non, je ne suis pas au rancart, Ginette. J’en suis ! Depuis que j’ai pris cette décision, je suis rempli d’enthousiasme, de joie. Je trichais avec vous, je vous présentais des objec-