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vous pouvez, mon pauvre Pierre ; on n’a aucun reproche à vous adresser. Vous avez fait votre devoir ; vous avez quarante-six ans. Vous pourriez être évidemment dans un lointain dépôt, dans une intendance insignifiante, mais vous n’encourez aucun blâme en vous rendant utile dans votre propre ville. Vous voilà comme le sous-préfet ! J’ai toujours voulu parler de ceux qui n’ont pas l’âge de la retraite, et de ceux…

PIERRE, (l’interrompant.)

Pas le blâme, si vous voulez, mais le mépris ! ah oui ! Mais ça n’est pas votre faute ; vous avez le mépris cruel de la jeunesse. Et puis, c’est peut-être pour mon châtiment aussi !

GINETTE.

Votre châtiment ?

PIERRE.

Oui, d’avoir osé vous faire l’aveu que je vous ai fait !

GINETTE, (froide.)

Il est convenu que nous n’en reparlerons jamais.

PIERRE.

Mais vous y répondez toujours indirectement par vos railleries… justes, oh ! très justes !… Celui qui ne peut prétendre aux actes les plus énergiques et les plus valeureux de l’âme doit se soumettre lui-même à toutes les conséquences de son âge ou de sa pleutrerie. Aligne tes fiches, vieux bonhomme, dans ton bureau. C’est justice.

GINETTE.

Mais qu’est-ce qui vous prend aujourd’hui ? Je me suis mal exprimée sans doute. Moi aussi je suis pantoufle, Pierre ! Résignons-nous à notre modeste emploi. La beauté, c’est pour les autres !