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fini au clair des bougies le premier acte de ma pièce, je le lus au satyre barbu qui s’enthousiasma et m’incita à terminer une tragédie, jaillie, disait-il, de la terre même comme une source. Il faut leur apprendre, clamait-il, en arpentant ma chambre, « que les lignes et l’harmonie sont « une » et qu’elles sont les mêmes dans l’arbre qui pousse, dans Fra Angelico, comme dans votre Mireille bretonne » et il martelait ses phrases à coups de sabots.

Mais l’automne vint. Il fallait revenir à Paris, retrouver l’atelier, se redonner tout entier à la peinture de laquelle je n’imaginais pas qu’on puisse se détacher.

Je n’ébauchai le troisième acte de la Lépreuse que l’année suivante, à mon retour au Huelgoat. Je travaillais à une esquisse peinte commencée dans les ruines du Ruskek, le sujet en était le sommeil de la Belle au Bois Dormant, entourée des nocturnes et des bêtes qui lui léchaient les pieds et les mains. Ces roches merveilleuses du Ruskek étaient habitées par une sorcière, une véritable sorcière (il y en avait encore en Bretagne à ce moment-là). Elle m’avait inspiré le personnage de la vieille Tili, comme le jeune chanteur ambulant m’avait inspiré le personnage de Hergonani. Je prétendis faire poser cette sorcière pour la figure de mon tableau