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par l’intermédiaire de la société, j’ai contre ce procédé indirect tout juste les mêmes objections qui m’ont fait vous refuser le prêt direct et gratuit.

La Société ! J’ai été surpris, je l’avoue, devoir apparaître dans un écrit émané de vous, ce personnage nouveau, ce capitaliste accommodant.

Eh quoi ! monsieur, vous qui, dans la même feuille où vous m’adressez votre lettre, avez combattu avec une si rude énergie les systèmes de Louis Blanc et de Pierre Leroux, n’avez vous dissipé la fiction de l’État, que pour y substituer la fiction de la Société ?

Qu’est-ce donc que la société, en dehors de quiconque prête ou emprunte ; perçoit ou paye l’intérêt inhérent au prix de toutes choses ? Quel est ce Deus ex machina que vous faites intervenir d’une manière si inattendue pour donner le mot du problème ? Y a-t-il d’un côté la masse entière des travailleurs, marchands, artisans, capitalistes, et, de l’autre, la Société, personnalité distincte, possédant des capitaux en telle abondance, qu’elle en peut prêter à chacun sans compte ni mesure, et cela sans rétribution ?

Ce n’est pas ainsi que vous l’entendez ; je n’en veux pour preuve que votre article sur l’État. Vous savez bien, — bien que la société n’a d’autres capitaux que ceux qui sont entre les mains des capitalistes grands et petits. Serait-ce ce que la Société doit s’emparer de ces capitaux et les faire circuler gratuitement sous prétexte de les organiser ? En vérité, je m’y perds, et il me semble que, sous votre plume, cette limite s’efface sans cesse, qui sépare, aux yeux de la conscience publique, la propriété du vol.

En cherchant à pénétrer jusqu’à la racine de l’erreur que je combats ici, je crois la trouver dans la confusion que vous faites entre les frais de circulation des capitaux et les intérêts des capitaux. Vous croyez qu’on peut arriver à la circulation gratuite, et vous en concluez que le prêt sera gratuit. C’est comme si l’on disait que lorsque les frais de transport de Bordeaux à Paris seront anéantis, les vins de Bordeaux se donneront pour rien à Paris. Vous n’êtes pas le premier qui se soit fait cette illusion. Law disait : « La loi de la circulation est la seule qui puisse sauver les em-