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à nous que vous adressez vos dissertations patriarchales ? Est-ce le prolétaire de 1849 que vous voulez convaincre ? Commencez donc par étudier ses idées ; placez-vous, avec lui, dans l’actualité des doctrines ; répondez aux raisons, vraies ou fausses, qui le déterminent, et ne lui apportez pas les vôtres, qu’il sait depuis un temps immémorial. Cela vous surprendra sans doute d’entendre dire que vous, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, lorsque vous parlez de capital et d’intérêt, vous n’êtes plus à la question ! C’est pourtant ce que nous nous chargeons, pour aujourd’hui, de vous prouver. Après, nous reprendrons la question elle-même, si vous en avez le désir.

Nous nions d’abord, ceci vous le savez de reste, nous nions avec le christianisme et l’Évangile, la légitimité en soi du prêt à intérêt ; nous la nions avec le judaïsme et le paganisme, avec tous les philosophes et législateurs de l’antiquité. Car vous remarquerez ce premier fait, qui a bien aussi sa valeur : l’usure n’a pas plus tôt paru dans le monde, qu’elle a été niée. Les législateurs et les moralistes n’ont cessé de la combattre, et s’ils ne sont parvenus à l’éteindre, du moins ont-ils réussi jusqu’à certain point à lui rogner les ongles, en fixant une limite, un taux légal à l’intérêt.

Telle est donc notre première proposition, la seule dont, à ce qu’il semble, vous ayez entendu parler : Tout ce qui, dans le remboursement du prêt, est donné en sus du prêt, est usure, spoliation : Quodcumque sorti accedit, usura est.

Mais ce que vous ne savez point, et’qui vous émerveillera peut-être, c’est que cette négation fondamentale de l’intérêt ne détruit point, à nos yeux, le principe, le droit, si vous voulez, qui donne naissance à l’intérêt, et qui, malgré les condamnations de l’autorité séculière et ecclésiastique, l’a fait perdurer jusqu’à nos jours : en sorte que le véritable problème pour nous n’est pas de savoir si l’usure, en soi, est illicite, nous sommes à cet égard de l’avis de l’Église, — ou si elle a une raison d’existence, nous sommes, sous ce rapport, de l’opinion des économistes. Le problème est de savoir comment on parviendra à supprimer l’abus