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fait résultant également de la liberté. En matière de travail et de transactions, moins encore qu’en toute autre chose, l’homme est disposé à se soumettre à l’autorité et à la contrainte.

Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, il y a donc dans la pratique de l’intérêt un mouvement historique dont il faut absolument tenir compte.

M. Proudhon a cherché à faire comprendre ce mouvement dès le commencement du débat. Il a eu, nous avons tout lieu de le croire, le malheur de n’être pas compris un seul instant de son honorable adversaire. Durant toute la discussion, M. Bastiat en est resté à l’argumentation de M. Chevé, contre lequel, économiquement, il avait beau jeu, au point de vue des faits et de l’usage ordinaire des choses. Mais tous les raisonnements de M. Proudhon sont devenus pour lui le livre au sept sceaux.

C’est qu’il fait bon batailler contre l’absolu au moyen de l’absolu. Sur ce terrain métaphysique, le pied ne glisse jamais, et les coups qu’on se porte ne font jamais grand mal ; au pis aller, si l’on est transpercé par son ennemi on a le plaisir de le transpercer à son tour. Mais personne n’en meurt. C’est un combat à armes courtoises.

Mais il n’en est plus de même quand on descend de ces hauteurs sereines et qu’on se trouve sur le terrain ardu des faits. Là, il ne s’agit point d’opposer syllogisme à syllogisme, et de rompre adroitement les deux cornes d’un dilemme. Il faut avoir plus que de la raison, il faut posséder véritablement la science. D’un fait, si on ne connaît ni la philosophie ni la série, il est impossible de tirer autre chose qu’une description ou une observation, jamais on n’aboutit à ce qui écrase un adversaire, à une généralisation.

M. Chevé a du moins cet immense mérite de posséder non-seulement un principe vrai, mais d’en avoir sondé toute la profondeur. Il ne lui manque plus que de sortir de l’absolu théologique, d’approcher un peu plus le fait humain et d’étudier l’histoire. Cela lui fera découvrir dans l’intérêt une portée, une signification qui lui a échappé. Il complétera alors facilement ce que nous n’hésitons pas à appeler sa découverte.