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formes de l’usure ; ç’a été enfin de généraliser et d’étendre aux terres et aux maisons le principe évangélique du mutuum date.

On conçoit qu’après cette généralisation, il n’était point difficile à un esprit intelligent et profond d’en saisir toutes les conséquences. Elles n’ont point échappé à la sagacité de M. Chevé : il a bientôt aperçu qu’il y avait au fond de tout cela une révolution économique et sociale ; il a mieux fait que l’apercevoir, il en a en quelque sorte donné la formule : l’égalité dans les conditions du travail, ou, comme il l’appelle, l’égal-échange, tel est, suivant lui, le nouveau pivot autour duquel doit rouler la société débarrassée du double favoritisme de l’intérêt et de la rente.

C’est au point de vue de la moralité et du droit la théorie du crédit gratuit.

Le tort de M. Chevé, ç’a été de rester théologien. Placé dans l’absolu, tout le mouvement historique lui a échappé. La raison de religion, de morale et de justice lui montre l’usure comme condamnable ; il déclare nettement, et c’est là sa valeur, l’usure condamnable. Mais là, il s’arrête : il ne recherche point si l’usure n’a pas eu sa raison d’être dans le développement économique de l’humanité, et si par hasard ce n’est point un sentiment d’égalité égaré de son but qui en a révélé l’institution.

En un mot, l’estimable auteur du Dernier mot du Socialisme[1] ne tient pas compte du progrès et des conditions sociales ; il n’admet pas l’excusabilité au for intérieur de l’intérêt pendant un laps d’au moins trois mille ans. Il blâme sans restriction ni réserve ce qu’il y a de plus infaillible sur cette terre, la pratique humaine, l’humanité.

Au reste, tout ce que M. Chevé dit contre l’intérêt est vrai. Tout ce qu’il propose pour le supprimer et pour rassurer les capitalistes, ou entrepreneurs gros gagnants, est encore fondé. Sous ce rapport, il y a peu de différence entre M. Chevé et M. Proudhon. On retrouve une partie de ces idées dans le premier mémoire sur la Propriété, et dans les diverses déductions du principe mutuelliste et de la Ban-

  1. Un volume in-18, chez Garnier frères.