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journal de ma vie.

Nous continuames nos mines et nos travaux jusques au samedy premier jour d’octobre, auquel il vint un sy grand orage d’eau que je fus plusieurs fois a nage pour passer d’un lieu a un autre dans nos tranchées. La plus part des soldats quitterent, et les autres se mirent en sauveté sur les crestes des tranchées, asseurés que les ennemis ne pouvoint tirer sur eux, car tout estoit mouillé : et les mesmes ennemis ne se pouvans tenir dans le fond du ravelin, se mirent comme nos gens sur le haut de leur rempart, et parloint a nous. Roquelaure quy estoit comme une espece de mareschal de camp au quartier de Mr de Montmorency[1], me vint voir et creut que sy on pouvoit attaquer en ce temps là le ravelin, que les ennemis ne le pourroint deffendre, et en fit son rapport a Mr le Prince quy venoit me faire sortir de la tranchée pour m’aller secher, ayant esté toute la nuit dans l’eau au moins jusques a la ceinture, et quelquefois jusques au col. Des que Roquelaure eut dit cette imagination a Mr le Prince, il vint en diligence a moy, me commandant de la mettre en execution ; mais je luy en remontray l’impossibilité, et luy fis voir par la reconnoissance que l’on en fit devant luy, qu’il y avoit une pique d’eau de hauteur entre les ennemis et nous, et l'asseuray que, sy la pluye cessoit, toutes choses seroint prestes pour attaquer le ravelin le dimanche suyvant : a quoy je me preparay sans intermission, bien que ce ne fut mon avis de l’attaquer de la sorte.

  1. Les enfants alors vivants du maréchal de Roquelaure étaient trop jeunes pour remplir de pareilles fonctions : il y a apparence que l'officier dont il s’agit ici appartenait à la branche de Roquelaure-Saint-Aubin. Il fut tué le lendemain 2 octobre.