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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

de terre et d’encens. Il fait chaud et l’on a fermé les volets.

À 2 heures, je me suis mise à peindre le portrait du pauvre mort, mais le soleil est venu à quatre heures ; il faut s’interrompre, ce ne sera qu’une esquisse.

Je ne sais pas comment tout doit se passer, mais je tâche instinctivement d’observer l’étiquette, tout en ayant bon cœur.

À chaque instant j’ouvre ce livre pour y enregistrer quelques événements.


Vendredi 30 août. — La vie réelle est un détestable et ennuyeux rêve… pourtant, comme je pourrais être heureuse avec seulement un peu de bonheur ; je possède au suprême degré l’art de faire beaucoup de rien, et puis rien de ce qui affecte les autres ne m’affecte.


Dimanche 1er septembre. — Et je ne vois rien… rien que la peinture. Si je devenais un grand peintre, ce serait une compensation divine, j’aurais le droit d’avoir des sentiments, des opinions (devant moi-même), je ne me mépriserais pas en écrivant toutes ces misères ! Je serais quelque chose… Je pouvais n’être rien et je serais heureuse de n’être rien, qu’aimée d’un homme qui serait ma gloire… Mais, à présent, il faut être quelqu’un par soi-même.


Mercredi 4 septembre. — Kant prétend que les choses n’existent que par notre imagination. C’est aller trop loin ; mais j’admets son système dans le domaine du sentiment… Au fait, les sentiments sont produits par l’impression que produisent les objets ou les êtres ; et puisqu’il dit que les objets ne sont tels ou tels, qu’ils n’ont en un mot aucune valeur objective