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JOURNAL

le conduire à Rome pour le lui dire en face du soleil se couchant derrière la divine coupole…

Si j’étais, frappée de quelque immense malheur, j’irais pleurer et prier les yeux fixés sur cette coupole. Si, je devenais la plus heureuse des femmes et des hommes, c’est aussi là que j’irais…

Quel aplatissement bourgeois en pensant qu’on habite Paris… qui est cependant la seule ville au monde possible après Rome !


Paris. — Samedi 17 août. — Encore ce matin nous étions à Soden.

J’ai promis cinq cents saluts par terre si je trouvais grand-papa vivant. J’ai exécuté ma promesse. Il n’est pas mort, mais il n’en vaut guère mieux. Tout de même… voici ma cure d’Ems fichue.

Je déteste Paris ! On peut y être heureux et content et satisfait mieux qu’ailleurs ; à Paris, la vie peut être complète, intelligente, glorieuse, je suis loin de le nier. Mais pour l’existence que je mène, on a besoin d’aimer la ville elle-même. Les villes comme les personnes me sont sympathiques ou antipathiques, et je ne puis faire que Paris me plaise.


Lundi 19 août.Mlle E…, celle qui était gouvernante chez Mme Anitskoff, est maintenant chez nous ; ce sera une sorte de gouvernante.

Je lui montrerai un grand respect dans les magasins, pour en imposer, car elle n’est pas imposante ; petite, rousse, jeune, triste. Une figure ronde qui a l’air de la lune, quand la lune est triste. Cette impression de physionomie fait rire.

Des yeux d’une rêverie comique ; mais avec un chapeau à mon idée, cela ira, et j’irai à l’atelier avec elle.