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JOURNAL

sur l’avenir, et, moitié effrayée, de vous dire : c’est ça, la vie ?

À quinze ans, j’avais de l’enfant dans la figure, ce que je n’ai eu, ni avant quinze ans, ni après. Et cette expression est tout ce qu’il y a de plus ravissant au monde.

J’ai découvert des promenades dans Soden… Je ne parle pas des promenades vulgaires où chaque étranger se croit obligé de grimper, mais des allées et des bois où il n’y a personne.

J’adore ce calme. Ou bien Paris, ou bien le désert. Je ne parle pas de Rome, cela me ferait pleurer tout de suite.

Le vieux Tite-Live raconte si bien et lorsque, dans certain passage, on sent qu’il travestit une défaite, ou excuse une humiliation… c’est presque touchant… Tenez, jusqu’à présent je n’ai jamais aimé que Rome.

Imaginez-vous mon plaisir quand j’entends ces dames causer de leurs nerfs, de leurs connaissances, de leurs docteurs, de leurs robes, de leurs enfants ! Mais je m’isole, je vais dans les bois, je ferme les yeux et je suis où je veux.


Mardi 6 août. — Mon chapeau m’amuse et amuse Soden… J’ai acheté à la dispensatrice des verres d’eau de la Source, un bas de laine bleue qu’elle venait de commencer ; en même temps, elle me montre comment cela se fait. Je saisis de suite la théorie et le bas, et m’installe avec Mme Dutine en face des fenêtres de l’hôtel, à tricoter le bas, pendant que ma tante et les autres s’en vont je ne sais où.