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JOURNAL

la peinture, les sentiments, etc., tout. Je n’ai jamais eu de sentiments simples et je n’en aurai jamais, car ils sont impossibles là où il y a des doutes et des appréhensions fondées sur les faits antérieurs. Les sentiments simples ne peuvent exister que dans le bonheur ou à la campagne, dans l’ignorance de toutes ces choses qui…

Je suis un caractère essentiellement tripoteur, tant par un excès de finesse que par amour-propre, désir d’analyse, recherche du vrai, crainte de faire fausse route, de non-réussite.

Eh bien, quand le ceur ou l’esprit est tourmenté par toutes ces choses, on n’arrive qu’à des résultats fatigués qui peuvent sans doute être violents, mais aussi sujets à des retours étranges, à des exaltations, à des chutes, bref, une inégalité absolue et tourmentante ; somme toute, c’est préférable à une absolue égalité qui, comme on le dit, fatigue. Cette égalité exclut les nuances extrêmement délicates qui doivent donner des jouissances suprêmes aux délicats, aux tripoteurs qui veulent des finesses dans le grand, même dans le sublime et sans lesquelles on n’obtient jamais des effets aussi puissants et aussi colorés…

On dirait que j’en sais quelque chose. Je sais seulement que j’écris mes fantaisies et ne vole rien à personne.


Dimanche 5 mai. — J’ai sept mois d’atelier.

Je suis retournée à l’exposition avec Anna Noggren. Nous avons parcouru très à la légère tout, excepté les tableaux qui nous intéressaient seuls.

J’ai été très surprise du portrait de Don Carlos, mal dessiné, faux de ton et peu ressemblant. Quant au fameux portrait de M. Thiers, je ne l’ai pas vu au